De la patience et de l’amour pour le conquérant
Introduction
Aujourd’hui, l’injonction sociétale est la docilité et le contrôle. Bien qu’on sache que le contrôle fasse partie de l’homme — ou du gentleman, comme le veut le dicton : « un homme, ça s’empêche » —, le conflit scinde l’homme en deux.
Il est à la fois l’animal et le général. Le général doit tenir la bride haute à l’animal, et ne le lâcher que lorsque la situation le lui permet.
Dualité : le général et l’animal
Le général se doit d’être invincible et impassible, et l’animal, féroce, fougueux et vorace. Le général doit répondre aux injonctions de la compagne, mais sans jamais s’effacer : il doit pouvoir, au moment juste, libérer l’animal.
L’animal, lui, doit être bien nourri. Dans la métaphore que nous filons, il ne doit pas être affaibli par la contrainte. Comme l’a établi Paracelse il y a longtemps : « Tout est poison, tout est remède ; c’est la dose qui fait la différence. »
Le général et l’animal ne sont pas ennemis. Ils sont deux voix dans une même chair, deux respirations dans un même souffle.
La société moderne, fascinée par le contrôle, voudrait que l’homme se réduise au général : un masque impassible, rationnel, « professionnel », lisse comme une statue de marbre. Mais un marbre froid finit toujours par se fissurer.
L’art du dosage
Nietzsche nous rappelle que sans le dionysiaque, l’apollinien s’épuise. L’ordre, sans l’ivresse, devient stérile. L’animal est cette ivresse, ce jaillissement vital qui rend la vie supportable et, mieux encore, désirable.
Mais l’animal livré à lui-même se dévore : il brûle trop vite, comme un feu sans foyer. C’est pour cela que le général est nécessaire : il n’étouffe pas, il donne une forme, il sculpte la fougue brute en puissance maîtrisée.
Freud disait que la civilisation n’est possible que parce que l’homme réprime une part de ses pulsions. Mais cette répression n’est pas sans prix : l’homme moderne est parfois malade de son excès de contrôle. Peut-être faut-il, au lieu de réprimer, apprivoiser. Non pas la cage, mais le pacte.
L’amour comme médiateur
L’amour, dans cette dialectique, joue le rôle du médiateur. La compagne, la partenaire, ou l’autre en général, appelle le général par ses attentes, mais réclame aussi, secrètement, la morsure de l’animal.
Car être aimé, ce n’est pas seulement être fiable et stable ; c’est aussi être vivant, imprévisible, brûlant. Un amour où l’animal est absent devient amitié polie. Un amour où le général est absent devient chaos.
Ainsi l’homme conquérant — non pas celui qui soumet des peuples, mais celui qui se conquiert lui‑même — doit pratiquer l’art du dosage. La patience du général, la tendresse pour l’animal. Il n’y a pas de victoire finale, seulement un équilibre toujours mouvant, comme une mer que l’on traverse sans jamais pouvoir l’arrêter.
Peut-être est‑ce cela, l’homme véritable : un funambule entre la discipline et l’ivresse, qui avance sans tomber, parce qu’il sait que la corde elle‑même est tendue par ces deux forces contraires.
Conclusion
La voie n’est pas tranchée entre l’ordre et la passion. Elle est tissée. Le général, loin d’écraser, apprend la patience. L’animal, loin d’être maudit, reçoit l’amour. Et ensemble ils composent une vie qui vaut d’être vécue : ni trop mesurée, ni trop déchaînée.
Références et pistes de lecture
- Friedrich Nietzsche — La Naissance de la Tragédie (sur le dionysiaque et l’apollinien)
- Sigmund Freud — textes sur la civilisation et la répression
- Paracelse — maxime sur la dose (biochimie morale et métaphorique)
- Essais contemporains sur la maîtrise de soi et la santé mentale