Le couple n’est jamais à deux : penser la présence du tiers
On aime se représenter le couple comme une entité close, « un monde à deux », protégé par la fidélité et l’exclusivité. La littérature romantique, le mariage et les fictions populaires renforcent cette image. Pourtant, philosophie, psychanalyse et sociologie montrent l’évidence contraire : le couple n’existe jamais seulement à deux. Il est toujours traversé par un tiers — personne, passion, loi ou absence — qui contribue à sa dynamique.
Le mythe fragile du « deux »
Georg Simmel montrait dès 1908 que la dyade est instable : laissés seuls à eux-mêmes, deux partenaires risquent soit une fusion étouffante, soit un éclatement. La présence d’un tiers — ami, enfant, norme sociale — introduit distance et médiation, et donne consistance à la relation.
Freud rappelait que toute relation duelle est médiatisée par des figures symboliques (père, loi, culture). Même à deux, nous sommes inscrits dans des structures plus larges qui orientent le désir et le lien.
Les visages multiples du tiers
1. Le tiers-personne
Amant, maîtresse, ami, enfant : ces figures introduisent une altérité qui défait l’illusion d’une possession totale. René Girard a conceptualisé le désir comme triangulaire : nous désirons souvent à travers la médiation d’un autre.
2. Le tiers-activité
Travail, art, sport ou engagement : ces activités déplacent l’investissement émotionnel hors du couple. Hannah Arendt montre combien l’action et l’appartenance à des mondes communs structurent nos vies et pèsent sur la relation intime.
3. Le tiers-symbolique
Famille, État, religion, culture — ce que Lacan désigne par le « Nom‑du‑Père » — forment le registre symbolique qui rend possible le désir et impose des interdits. Le tiers symbolique structure la relation et lui donne des contours sociaux.
Le rôle vital du tiers
Le tiers n’est pas seulement un intrus : il est souvent la condition même de la survie du couple. Simone de Beauvoir et d’autres ont montré que la fusion conjugale peut devenir une aliénation ; la distance et l’altérité, en revanche, maintiennent le lien vivant.
- Préserver l’autonomie individuelle
- Empêcher la rigidification du lien
- Nourrir le désir par la distance et la tension
Penser le couple « à trois »
Reconnaître la présence du tiers ne signifie pas légitimer toutes les formes d’infidélité, mais admettre que la structure triangulaire est constitutive de toute relation intime. Emmanuel Lévinas rappelle que l’autre excède notre saisissement : le tiers manifeste cette irréductible altérité.
Penser le couple comme une configuration ouverte, et non comme une forteresse, invite à repenser l’amour comme circulation plutôt que possession.
Ouverture : vers une vision plus réaliste de la conjugalité
Les évolutions sociales récentes, qu’il s’agisse des couples à distance, des familles recomposées ou de nouvelles formes d’organisation de la vie quotidienne, rappellent la pluralité des tiers qui traversent les liens amoureux. Ces figures extérieures ne sont pas seulement des menaces, mais des réalités constitutives de la vie conjugale.
Admettre la présence du tiers, c’est reconnaître que l’amour ne peut pas se réduire à la fusion. C’est accepter la part d’altérité, de mouvement et d’imprévu sans lesquels le couple perd sa vitalité.